1. En résumé
- ➜ En France, les amendes prononcées par la CNIL sont, par principe, considérées comme non assurables en raison de leur nature de sanction administrative punitive et dissuasive.
- ➜ Selon les contrats, l’assurance cyber peut couvrir certains coûts périphériques liés à un incident RGPD, comme les frais d’avocat, d’experts, de gestion de crise, de notification et parfois de restauration des systèmes.
- ➜ Les contrats peuvent aussi intervenir sur le risque « tiers », notamment les réclamations et actions en responsabilité intentées par des personnes concernées, clients ou partenaires, sous réserve des garanties et exclusions prévues.
- ➜ La couverture peut être refusée en cas de faute intentionnelle et, plus largement, lorsque le comportement est qualifié de dolosif ; selon les faits, cela peut aussi impacter des frais annexes.
- ➜ En pratique, tout dépend des conditions précises du contrat (exigences de sécurité, obligations de déclaration et de coopération), d’où l’importance d’analyser non pas non pas « si » l’on est couvert, mais « dans quelles conditions » et pour quels postes de coûts.
2. Ce que l’assurance ne couvre pas, en principe : l’amende de la CNIL
Quand la CNIL prononce une sanction pécuniaire, il s’agit d’une sanction administrative à finalité punitive et dissuasive. Et c’est précisément ce caractère « sanction » qui bloque l’assurabilité : si une compagnie remboursait l’amende à votre place, l’effet dissuasif disparaîtrait.
En France, le principe est clair : les amendes et sanctions pécuniaires à visée punitive (notamment celles prononcées par une autorité administrative comme la CNIL) sont en pratique exclues de l’assurance. Cette position est cohérente avec les principes du droit des assurances et la position de supervision de l’ACPR sur l’assurabilité des sanctions pécuniaires.
Autrement dit, même avec une très bonne assurance cyber, vous ne pouvez pas compter sur un remboursement de l’amende CNIL, car il ne s’agit pas d’un dommage indemnisable au sens de l’assurance, mais d’une sanction ayant vocation à rester à la charge du responsable.
3. Ce que l’assurance peut couvrir : les coûts et les réclamations liées au manquement
Si l’amende n’est pas assurable, un incident RGPD ressemble rarement à « juste un courrier de la CNIL ». Dans la vraie vie, c’est une mécanique qui s’enclenche, avec des coûts immédiats, puis des coûts différés. C’est précisément sur ces postes-là que l’assurance peut devenir utile, parce qu’elle ne « paie pas la sanction », mais elle peut, selon les contrats, financer la gestion de l’événement et limiter la casse financière.
D’abord, il y a le coût de la réponse
Dès que l’incident est identifié, il faut qualifier ce qui s’est passé, mesurer l’ampleur, sécuriser, documenter. Cela implique souvent de mobiliser des compétences qui ne sont pas en interne : avocat pour cadrer la stratégie et les échanges, expert technique pour analyser l’origine, l’étendue et les traces (investigation numérique / forensic), parfois un DPO externe ou un cabinet de conformité pour remettre à plat les processus, et une cellule de communication si l’affaire est sensible.
Ensuite viennent les obligations opérationnelles : préparer et envoyer les notifications aux personnes concernées quand c’est nécessaire, mettre en place un dispositif de réponse (centre d’appels, adresse dédiée, FAQ), traiter un pic de demandes d’accès/suppression/opposition, et, si l’incident touche le SI, financer des actions de restauration et de remise en état.
👉 Sur ce terrain, une assurance cyber (et parfois certaines extensions) peut intervenir, selon les garanties souscrites, sur des « frais » clairement identifiés au contrat : frais de défense, d’assistance juridique, d’expertise, de gestion de crise, de notification, de restauration, etc. L’enjeu, ce n’est pas de cocher une case « RGPD », c’est de vérifier que ces postes sont bien couverts, avec des plafonds, des franchises et des conditions réalistes.
Ensuite, et c’est souvent le morceau le plus lourd, : le risque tiers
Le RGPD ne se limite pas à une relation avec la CNIL : il ouvre la porte à des réclamations de personnes concernées, et plus largement à des actions qui cherchent une indemnisation lorsqu’un dommage est allégué.
Concrètement, après une fuite de données, vous pouvez voir arriver des demandes de réparation, des mises en cause contractuelles (un client qui vous reproche un manquement, un prestataire qui vous renvoie la responsabilité), voire un contentieux si l’affaire s’envenime. Et là, l’addition ne se résume pas à « combien l’amende » : elle inclut les frais d’avocat, le temps passé, les expertises, et parfois des dommages et intérêts.
👉 C’est sur cette partie « responsabilité » que la RC Pro et/ou certains volets de responsabilité des contrats cyber peuvent être sollicités, à condition que la situation entre dans la définition du sinistre, que le fait générateur soit couvert, et que les exclusions ne viennent pas tout balayer.
4. Les points qui font tout basculer : l’intention, la « faute dolosive » et les exclusions
Même sur les frais « périphériques », vous n’êtes pas couvert quoi qu’il arrive, parce que l’assurance n’a pas vocation à prendre en charge des dommages que vous avez provoqués volontairement. Le droit français fixe une limite : l’assureur n’a pas vocation à garantir les dommages résultant d’un comportement intentionnel et, selon les circonstances, d’un comportement qualifié de dolosif.
Traduit en langage simple, cela signifie que si vous avez sciemment choisi de ne pas respecter vos obligations (par exemple en collectant des données sans base légale en connaissance de cause, en ignorant des alertes répétées, ou en décidant de « fermer les yeux » sur un risque que vous saviez inévitable), l’assureur peut refuser sa garantie.
Le point important, c’est que le débat ne porte pas seulement sur « avez-vous fait une erreur ? », mais sur l’état d’esprit et la logique de décision : une négligence ou une défaillance peut parfois rester assurable, alors qu’un manquement assumé ou une stratégie de contournement fait basculer le dossier dans une zone où la garantie saute.
Et même lorsque vous êtes de bonne foi, les contrats cyber sont rarement « open bar ». Ils encadrent la prise en charge avec des conditions et des exclusions très opérationnelles, qui peuvent faire toute la différence au moment du sinistre. On voit souvent des exigences de niveau minimal de sécurité (par exemple MFA, sauvegardes, segmentation, gestion des correctifs), des obligations de déclaration dans un délai précis, des procédures de notification à respecter, et une obligation de coopération étroite avec l’assureur et ses prestataires (experts, juristes, cellule de crise).
👉 Si ces exigences figurent au contrat (déclarations de risque, clauses de sécurité, obligations de prévention), leur non-respect peut entraîner une réduction d’indemnisation, voire un refus, notamment lorsqu’il a contribué au sinistre ou en a aggravé les conséquences.
5. Trois cas concrets
Cas A : vous subissez une violation de données, typiquement un piratage, un ransomware, une fuite via un prestataire ou une erreur de configuration
L’enquête met ensuite en évidence un niveau de protection insuffisant : correctifs appliqués trop tard, absence de MFA, sauvegardes inexploitables, droits trop larges, journalisation lacunaire, etc.
Dans ce scénario, l’assurance cyber peut souvent devenir votre « boîte à outils » de gestion de crise. Elle sert d’abord à financer et organiser la réponse : investigation technique (forensic) pour comprendre l’origine et l’étendue, accompagnement juridique pour cadrer la stratégie et les échanges, communication de crise si la réputation est en jeu, et prise en charge des opérations de notification quand elles s’imposent. Elle peut aussi, selon le contrat, intervenir sur certaines réclamations de tiers consécutives à l’incident, par exemple si un client ou un partenaire vous met en cause au titre d’une défaillance.
En revanche, le point dur reste identique : si la CNIL prononce une amende, ce poste demeure, en France, très généralement hors champ de l’assurabilité. Autrement dit, l’assurance peut vous aider à « encaisser » le choc opérationnel et contentieux, mais pas à effacer la sanction administrative.
Cas B : vous n’avez pas subi un piratage spectaculaire, mais vous avez un manquement « organisationnel »
Ex. registre de traitements absent ou incomplet, conservation des données trop longue, gestion des droits des personnes mal outillée, mentions d’information imprécises, consentement mal recueilli, sous-traitance mal encadrée, sécurité documentaire insuffisante, etc.
C’est le genre de non-conformité qui peut émerger lors d’un contrôle, d’une plainte, ou d’une demande d’exercice de droits mal gérée. Ici, l’assurance ne vient pas « payer la conformité », mais elle peut parfois vous soutenir sur les coûts de défense et d’accompagnement si ces garanties existent : frais d’avocat pour répondre et se défendre, conseil pour constituer le dossier, assistance pour gérer la communication, voire certains frais liés à la gestion de l’événement.
La nuance est cruciale : beaucoup d’entreprises s’imaginent couvertes parce qu’elles ont une RC Pro, alors que le sujet n’est pas la RC « classique », mais la présence explicite de garanties adaptées (cyber, protection juridique, frais de gestion de crise) et, surtout, leur articulation avec les exclusions (sanctions, non-conformité, etc.).
Cas C : vous « savez » que vous êtes hors des clous et vous continuez
Ex. collecte excessive assumée, absence volontaire de base légale, refus délibéré d’honorer des droits, conservation maintenue malgré des alertes internes, ou arbitrage explicite du type « on verra plus tard, le risque est acceptable ».
Là, vous cumulez deux problèmes. D’abord, l’amende administrative demeure non assurable. Ensuite, vous entrez dans une zone qui peut déclencher un refus de garantie sur le reste, parce que l’assurance n’a pas vocation à couvrir les conséquences d’un comportement intentionnel ou dolosif.
Dans un dossier RGPD, ce n’est pas tant « l’erreur » qui vous expose, c’est la preuve d’une décision consciente de rester non conforme, surtout si le dommage devient prévisible ou assumé. Et si le contrat cyber ajoute des conditions de sécurité minimales ou des obligations de déclaration/cooperation, une attitude « je savais et j’ai continué » peut aussi rendre très difficile la mobilisation des garanties, même sur les frais de crise.